Depuis maintenant trois ans, je vous parle d’indicateur de performance, de métrique, de mesure, de tableau de bord et d’analytique RH. Je vous donne des conseils, tente de vous intéresser, de vous brasser, de vous inciter à vous lancer dans l’analytique RH. Je me suis dit que d’entendre le message directement de la bouche du cheval serait peut-être pour vous un déclencheur. Il me fallait donc trouver quelqu’un, quelque part qui avait réussi son voyage à travers l’analytique RH. Quelqu’un qui avait bâti une équipe et un centre d’expertise en analytique RH. Grâce à la magie des réseaux sociaux, j’ai été mise en contact avec Mark Berry (nous faisons tous les deux partie du palmarès des influenceurs en analytique RH – The Top 72 HR Analytics Influencers), je suis dans la partie 2 et Mark est dans la partie 4. Il faut dire que je suis quand même surprise de me retrouver dans ce palmarès, je n’écris pas du tout en anglais… en tout cas, je les remercie de m’avoir sélectionnée.
Revenons à notre cheval! Mark était jusqu’à tout dernièrement le Vice-président analytique RH chez ConAgra Foods. Pour ceux qui ne connaissent pas ConAgra, c’est une entreprise du Nebraska fondée en 1919 et qui compte 33000 employés dans 15 pays. C’est l’une des plus grosses entreprises agroalimentaires (produits préemballés) au monde avec un chiffre d’affaires de 17,7 milliards de dollars. Ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler une petite entreprise! Mark a reçu plusieurs prix pour l’ensemble de son travail dans le domaine de l’analytique RH. Il a, entre autres, été nommé parmi les 10 personnalités RH les plus avant-gardistes (trendsetter) par le HR Magazine du mois de janvier/février 2015. J’ai donc eu la chance de pouvoir m’entretenir avec Mark à la fin du mois de janvier. Je vous livre donc ici ses propos sans censure (en espérant que des détails ne se perdre pas dans la traduction!)
Mark, peux-tu te présenter SVP?
Par ordre de priorité, je suis l’époux de Carolyn, le père d’Hannah et de Gracie, l’ami de tous ceux qui le veulent bien et un membre de la famille Berry (eux, ils n’ont pas le choix). Je travaille depuis plus de 30 ans dans le domaine des ressources humaines. Les dix premières années, j’ai travaillé comme conseiller clinique agréé et directeur de programmes pour des organismes à but non lucratif ainsi que dans le secteur de la santé. J’ai pu y perfectionner mes compétences d’analyse et d’évaluation et ainsi tenter d’avoir un impact sur la performance des gens. Les vingt autres années, j’ai travaillé comme gestionnaire RH dans des entreprises du Fortune 200. Dernièrement, j’occupais le poste de Vice-président analytique RH chez ConAgra Foods où j’ai mis sur pied et dirigé la pratique de planification des effectifs et d’analytique RH. Je suis présentement à la recherche d’un autre défi toujours dans le domaine RH, dans un poste de CHRO ou de vice-président. Il est certain que j’aspire à joindre une organisation qui a à cœur de maintenir ou d’améliorer ses capacités en analytique RH.
Pourquoi et comment as-tu commencé à travailler avec l’analytique RH?
Lorsque j’étais clinicien, il y a de ça plusieurs années, j’ai adopté le modèle du chercheur-praticien. C’est un modèle conceptuel qui établit que ceux qui pratiquent la psychologie appliquée sont des praticiens, qui font leur travail basé sur les recherches reconnues scientifiquement. Dans ce domaine, les gens s’attendent à des résultats, car ils vous paient 100 $/heure. Ils vous diront poliment merci et ne prendront pas d’autres rendez-vous avec vous si les résultats n’y sont pas! Lorsque j’ai changé d’emploi et suis passé dans mon premier rôle RH, j’ai vraiment été surpris du manque de rigueur et d’effort de la part des RH pour quantifier l’impact de leur travail.
Au cours des années, il devenait de plus en plus frustrant pour moi de voir mes collègues des autres départements (opérations, finances, ventes et marketing) arriver avec des données pour supporter leurs affirmations. Les RH avaient tendance à se présenter aux réunions avec des «feelings», des «croyances» et des «opinions» et se faisaient lyncher toutes les fois. J’ai vu toute la puissance de l’analytique RH lorsque j’ai travaillé pour la compagnie International Paper au début des années 2000, période où nous sommes passés au travers d’une transformation majeure au niveau RH. Je fus alors en mesure d’accéder, de regrouper et d’analyser les données comme le faisaient mes collègues des autres départements. C’est là que je suis devenu accro!
Au cours des dix dernières années, j’ai participé à un certain nombre d’initiatives de transformation d’entreprises, perfectionnant non seulement mes compétences en leadership, mais aussi mes capacités d’analytique RH (pour être en mesure de quantifier l’impact de ces initiatives). Il y a environ 5 ans, j’ai débuté un projet « skunkworks » (un projet de recherche et développement innovateur) avec mon ancien employeur, afin d’établir un centre d’excellence en planification stratégique des effectifs et analytique RH. Après deux années, l’impact du travail de cette petite équipe était tel que l’on m’a offert la possibilité d’un poste à temps plein, à la tête d’une équipe ayant des antécédents solides dans les services partagés, les RH et la psychologie organisationnelle. Nous avons alors lancé le premier département «People Insights» de l’organisation. La suite, comme ils disent, appartient à l’histoire!
Où se situe ConAgra dans le modèle de maturité de l’analytique RH de Bersin?
Au niveau 3 soit l’analyse stratégique, avec quelques incursions dans le niveau 4. Cependant, à mon départ, l’avenir était encore incertain pour ce qui concerne une progression vers le niveau 4 (voir la figure ci-jointe).

Adapté du modèle de maturité de Bersin by Deloitte 2014
J’aime le modèle de Bersin plus que les autres modèles et ce, parce qu’il est logique. Je suis consterné de voir le nombre d’entreprises qui semblent croire qu’ils peuvent oublier les niveaux 1 à 3 pour sauter à pieds joints dans le niveau 4. D’ailleurs, lors de ma récente recherche d’emploi, j’ai laissé de côté plusieurs offres, car les organisations ne comprenaient manifestement pas la criticité de construire les bases fondamentales de l’analytique RH.
Ici, au Québec, la majorité de nos entreprises sont toujours au niveau 1 et certaines de nos meilleures entreprises sont au niveau 2, est-ce que cela se passe de la même façon aux États-Unis? En fait, ma vraie question est : est-ce que les RH vont y arriver un jour aux niveaux 3 et 4?
Je ne pense pas que nous soyons très différents d’un côté ou l’autre de la frontière. Pour moi, il y deux barrières critiques qui nous contraignent à avancer : 1) la capacité des leaders en analytique à obtenir les ressources pour aller au-delà des notions de base et 2) les compétences des professionnels RH à comprendre la valeur de l’analytique et surtout comment l’analytique peut leur rendre la vie plus facile.
À mon humble avis, il y a quelques « ilots d’excellence » dans un « océan d’incohérence ». Tant que la profession RH (au sens large du terme) ne prendra pas au sérieux la nécessité pour les professionnels RH d’avoir de solides compétences en analyse critique, en prise de décision basée sur des faits et en analytique RH, il sera très difficile d’avancer et surtout de gagner!
Ce n’est pas assez d’embaucher un psychologue organisationnel ou d’emprunter quelqu’un du département de ventes qui est bon en statistique, cela ne nous fera pas avancer en tant que profession. Chacun d’entre nous a le devoir de penser au futur de la profession RH. Nous n’avons pas les moyens de tout céder à des psychologues organisationnels, à des statisticiens, à des consultants ou à des fournisseurs de technologie. Nous allons perdre sur tous les fronts!
Quels sont les meilleurs résultats que tu as obtenus grâce à l’analytique RH ?
Je pourrais partager un certain nombre d’initiatives que nous avons réussies. Cependant, il y a trois choses dont je suis particulièrement très fier :
- L’amélioration descompétences en analytique etainsi que de son utilisation en libre-service de la part des partenaires d’affaires RH.Je ne crois pas que les organisationsréussissentuniquement en mettant en place un centre d’expertise en analytique RH. Je crois que le vrai succès arrive lorsque tous les professionnels RH de l’organisation sont aussi en mesure d’utiliser l’analytique RH.
- Trouver une façon d’amener les RH et les finances à travailler ensemble tout en respectant les effectifs et les coûts. Ceci fut un défi majeur et un sujet que je vais adresser dans une série hebdomadaire d’articles dès février sur LinkedIn et lors de la conférence « HCI’s Workforce Planning » à la fin février 2015. Être capable de combler le gouffre entre les RH et les finances en mettant en place des pratiques communes et des outils desservant les deux fonctions sous une seule version de la vérité fut une très grande victoire pour moi. De plus, faire en sorte que les RH et les finances travaillent ensemble afin d’assurer une gestion efficace des talents fut aussi une autre grande victoire.
- Le respectdela directiondes ressources humainesenvers notre équipeet par le fait même envers les analyses que nous leur fournissions pour mieux comprendre les enjeux de l’organisation. Nous avons réussi à crédibiliser l’analytique RH en démontrant toute la puissance et les possibilités d’une prise de décision basée sur les faits. C’était merveilleuxd’avoir des dirigeants- à la foisRH et affaires–s’en remettre àl’équiped’analytique RHlorsque des questions demeuraient sans réponse (plutôt que de supposer connaitre la réponse ou d’utiliser leur intuition). C’est à ce moment quevous savez que vousavez commencé àgagner!
Crois-tu que l’analytique devrait être chapeauté par le département RH ou bien être pris en charge par un autre département (comme l’informatique ou les finances par exemple)? Et pourquoi?
Cela devrait rester sous l’égide des ressources humaines et se rapporter directement au CHRO (ou vice-président). Je vois mal comment cela pourrait fonctionner autrement. Ceux qui la placent en dehors des RH, sans vraiment comprendre, compromettent ce qu’ils devraient chercher à diriger, au nom de l’efficacité. Tel que je l’ai mentionné plus tôt, le groupe doit se développer en tant que centre d’expertise, mais l’ensemble de l’organisation RH doit aussi faire évoluer ses capacités à utiliser et analyser les données. Ceux qui placent leur centre d’expertise en analytique RH sous la fonction talent risquent de créer un potentiel de conflits d’intérêts, car l’analytique RH devrait se concentrer (au moins en partie) sur l’évaluation des programmes RH (incluant les programmes reliés aux talents).
L’équipe d’analytique RH devrait être impartiale même si elle fait partie des RH. Elle doit pouvoir évaluer de façon objective les stratégies et initiatives de rémunération, d’avantages sociaux, de gestion des talents, et de formation en déterminant la valeur ajoutée pour l’organisation (et ce, même si cette valeur est plus faible que l’estiment et l’affirment les différentes parties prenantes). Pour moi, c’est la raison principale qui fait en sorte que l’analytique RH doit se rapporter à la plus haute instance RH (CHRO ou première vice-présidence) de l’organisation. Aucune personne faisant partie de l’équipe autant le dirigeant que les analystes ne veuillent avoir à évaluer des programmes ou initiatives parrainées par leur patron! En ce sens, je regarderais l’analytique RH un peu comme on regarde les audits internes. Il devrait y avoir une certaine séparation de sorte que l’analyse d’impacts des programmes RH peut être faite sans toutefois exiger la séparation totale des RH. Cela nécessite seulement une connexion directe avec la plus haute instance RH.
Quels conseils pourrais-tu donner à des professionnels RH qui veulent débuter avec l’analytique RH?
- Commencer par être convaincu et convaincant en racontant une histoire pertinente s’appliquant à votre organisation. Faite miroiter à quoi pourrait ressembler le succès ainsi que les gains rapides (quick wins) que vous pouvez obtenir.
- Trouvez du soutien à la haute direction sinon ne débutez rien! N’oubliez pas que votre parrain doit vous soutenir et non tout comprendre dans les moindres détails de l’analytique RH.
- Ne pas négliger les fondations de l’analytique RH telles que votre compréhension des clients (utilisateurs), des données et de la technologie. La compréhension du besoin d’affaires est essentielle.
- Au départ, minimiser les investissements dans la technologie ou envers les consultants des grosses firmes. Oui, les consultants sont intelligents et oui, les technologies sont super, mais vous n’avez pas besoin d’eux pour réussir à court terme.
- Faites des petits pas! Tentez de répondre aux besoins immédiats de votre organisation. C’est génial d’être ambitieux, mais restez concentré sur les opportunités immédiates et facile à résoudre. Ce qui est important ce n’est pas d’avoir un doctorat en psychologie organisationnelle, en statistique ou en mathématique, c’est plutôt une question de passion, d’objectif et de perspective. Vous n’avez pas besoin d’être un dieu de l’analyse ou de la planification d’effectifs pour commencer à construire votre pratique d’analytique RH. Vous devez simplement garder une longueur d’avance sur votre client le plus intelligent…
Wow! Merci Mark, ce fut un réel plaisir de discuter avec toi!
J’espère que vous avez apprécié cette entrevue. Pour ma part, Mark a confirmé beaucoup de choses que je pensais. Je lui souhaite bonne chance pour la suite des choses!
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